La densité en centre ancien, enjeux d’habitabilité actuelle

Dans les centres anciens, la densité existe de fait. L’enjeu est de maîtriser la densité
en respectant le patrimoine. Un enseignement du passé au secours d’un enjeu majeur.

L‘enjeu n’est pas, comme en d’autres endroits, de densifier, mais de rendre viable une densité qui s’est constituée progressivement, jusqu’à se congestionner parfois, et d’y permettre des activités répondant aux aspirations actuelles, en redonnant vie à des îlots porteurs d’un patrimoine dont il importe en premier chef de bien connaître la spécificité et l’évolution.

Rendre viable une densité qui s’est renforcée au fil du temps : une entreprise courageuse

Les écueils sont nombreux : un réseau viaire étroit et capricieux, une topographie chahutée rendent difficile l’accès aux espaces publics et aux locaux habités. Les surélévations, découpages et autres modifications du bâti ont produit des configurations particulières, constitutives d’une identité patrimoniale forte, mais qu’il n’est pas toujours aisé de réinvestir pour des usages actuels. Certains immeubles sont dégradés, en péril, insalubres,
voire effondrés ou démolis, trouant le tissu urbain de “dents creuses”. Or, les centres anciens sont la mémoire et le cœur des villes, et les élus attentifs et entreprenants sont soucieux de cette vitalité, reflet du dynamisme d’une communauté urbaine beaucoup plus large.

Des outils opérationnels de niveaux différents sont proposés aux collectivités : opérations façades qui réhabilitent l’image des immeubles, des rues et des places : programmes de rénovation des quartiers anciens dégradés (PNRGQAD) qui mettent en œuvre des projets de reconquête d’envergure ; opérations programmées d’amélioration de l’habitat (Opah) ou nouvelles opérations centres-bourgs, visant la revitalisation de l’ensemble des fonctions urbaines des bourgs en déclin. Leur mise en œuvre doit s’appuyer sur une connaissance extrêmement fine du patrimoine urbain qui, seule, permettra de trouver des réponses typées et astucieuses, permettant d’introduire une modernité et une aération légitimes dans un tissu urbain empreint de caractère.

Trois exemples à portée pédagogique

À Aix-en-Provence, le plan de sauvegarde et de mise en valeur1 comprend des dispositions adaptées permettant de maintenir, côté rue, le caractère scénographique de la ville, et, côté jardin, adossées à des façades beaucoup plus sobres, des adjonctions pouvant recevoir des commodités indispensables (circulations verticales) ou des espaces de transition (balcons, loggias). Ces interventions, compensant le dégagement des constructions adventices, sont de nature à restituer des cœurs d’îlots verdoyants et des îlots de fraîcheur. Le bâti lui-même présentait dans le passé des qualités architecturales répondant à une double recherche de confort thermique et de raffinement décoratif. Les objectifs en cours de l’Opah visent, entre autres, à restituer la présence de fontaines dans les halls des rez-de-chaussée, les ventilations des caves aux combles dans les cages d’escalier, les possibilités de rouvrir les “altanas”2 en toiture.

La densité de la ville ancienne de Grasse s’est constituée progressivement, par épaississement des façades, enjambement de rues et par surélévations. Une analyse extrêmement précise de l’évolution de chaque îlot, des typologies viaires, des anciens réseaux hydrauliques et de l’évolution du parcellaire a été confortée par une étude archéologique. Le projet urbain du PSMV3 engage à retrouver une lisibilité et une fluidité des cheminements en rez-de-rue, à redistribuer des logements sur des surfaces élargies par de nouvelles communications horizontales entre immeubles voisins et à rendre sa vigueur et sa régularité à la silhouette en decrescendo des toits de la
vieille ville en procédant à des écrêtements. Afin d’inciter les propriétaires à s’engager dans une démarche de reconquête, un conseil architectural poussé propose des projets de réorganisation des appartements aux derniers étages apportant lumière et confort. Les surcoûts d’écrêtement sont évalués et dédommagés par une contribution financière de la ville et surtout par la revalorisation du bien immobilier.

Enfin, un projet de médiathèque et d’aménagement des espaces publics attenants est à l’étude au cœur d’un îlot qui s’était extrêmement dégradé, devant doter le quartier du Rouachier d’une fonction culturelle attractive et, de ce fait, d’un nouveau statut social.

De nombreuses villes se sont établies en bordure d’un fleuve. Comment maintenir densité et habitabilité dans certains secteurs en zone inondable ? L’étude du quartier de la Roquette à Arles, soumis aux crues du Rhône, est à cet égard plein d’enseignement. À proximité du fleuve, les rez-de-chaussée sont très humides. Or on observe que les parties hautes des habitations sont en pierre de taille tandis que les rez-de-chaussée sont enduits. Les recherches des chargés d’études du PSMV4 et des archéologues ont montré que les rez-de-chaussée avaient été “surcreusés” de caves postérieurement à l’édification des constructions, ces caves faisant office de réserves potentielles d’eau lors des inondations. Les rez-de-chaussée, à vocation d’espace servant, sont dotés d’un enduit sacrificiel (qu’il est possible de refaire à volonté et très facilement) évitant de remplacer des pierres qui se dégraderaient avec l’humidité des maçonneries. Le secteur de la Roquette connaît actuellement un fort regain d’intérêt, sa densité équilibrée et ses espaces de “respiration” lui donnant de grandes qualités d’habitabilité.

Les “greffes” dans les villages peuvent répondre à la double recherche d’une économie dans l’usage des sols et d’une qualité du cadre de vie

Dans les Hautes-Alpes, la commune de Monêtier-les-Bains offre un bel exemple d’opération d’extension du village sous la forme d’une “opération greffe”. La silhouette villageoise est prolongée dans ses composantes traditionnelles : épannelage, jeu de toitures, mais la modernité d’un art de vivre contemporain y est bien présente : baies larges, balcons généreux couverts, petits jardins en bord de rivière. Ce type d’opération a permis, dans les année 80, de trouver un compromis entre de fortes densités villageoises et des extensions lâches et stéréotypées. Le village de Saint-Véran, le plus haut d’Europe5 , est une icône parmi les villages de montagne. Sa guirlande de fustes qui dégringolent sur le flanc d’un versant de prairies dessine une silhouette emblématique, dont une ZPPAUP6 protège la façade aval, aux pignons de mélèze noircis par le temps et aux larges auvents plein sud ouverts sur la vallée. Les fustes, construites par empilage de fûts de mélèze sur un soubassement maçonné, étaient des lieux d’engrangement dotés d’un large séchoir en balcon et d’une galerie latérale appelée “couriour”. L’habitat et le logement du bétail occupaient au départ une place réduite, en rez-de-chaussée. Puis le logement s’est étendu dans un, voire deux “casets”, ou petites maisons adossées, remplissant les intervalles libres entre les fustes. Dans cet exemple remarquable de densification villageoise, comment poursuivre aujourd’hui ? L’exercice demande un travail de ponctuation et d’interprétation : insérer une extension ou une construction nouvelle entre deux, aligner les fustes nouvelles dans le prolongement des anciennes en extrémité de rue, placer des volumes à l’arrière lorsque la desserte le permet, interpréter le modèle référent aux qualités bioclimatiques indéniables, performant dans le passé et en phase avec un mode de vie contemporain.

Hélène RIBLET
Inspecteur général, direction générale des patrimoines, ministère de la Culture.

  1. Chargées d’étude : Véronique Wood et Sandra Joigneau, architectes.
  2. Verrières de toiture méditéranéennes
  3. Chargée d’étude : Mireille Pellen, architecte
  4. Sous la conduite de Mireille pellen, chargée d’étude
  5. 2000m d’altitude
  6. Et très prochaine AVAP.
Dans le même dossier